le résumé

C’est en référence à Morphée, dieu grec du sommeil et des rêves, que Friedrich Sertürner a donné son nom à la morphine, le premier alcaloïde connu, dérivé de l’opium. On lui attribue la découverte en 1805 de l’usage pharmaceutique de cette puissante substance, classée par l’OMS comme étant un stupéfiant. 

Sertürner ne soupçonnait sans doute pas la portée de l’effet de dépendance et des dangers provoqués par sa découverte.

les détails

L’opium est cultivé et utilisé à des fins thérapeutiques depuis des millénaires. Sumériens, Égyptiens, Grecs et Romains, entre autres, lui reconnaissaient des propriétés antalgiques et sédatives.

Claude Galien, médecin grec de l’Antiquité que l’on considère — avec Hippocrate — comme l’un des principaux fondateurs des grands principes de base de la médecine européenne, soignait ainsi une variété de maux, notamment : le vertige, l’épilepsie, la surdité, l’asthme, la jaunisse, les problèmes urinaires, la fièvre, la lèpre et la mélancolie. On ignore si ce traitement était vraiment efficace, mais certains prétendent que les patients se retrouvaient dans un tel état d’euphorie qu’ils ne se souciaient plus de leurs maux. 

Illustration du Papaver somniferum

Friedrich Sertürner, à peine sorti de l’adolescence, était apprenti pharmacien dans la ville d’Eimbeck près de Hanovre, dans le royaume de Prusse (aujourd’hui l’Allemagne). Témoin de la frustration des médecins et des pharmaciens devant leur incapacité de calmer la douleur de leurs patients — les uns accusant les autres de mal administrer ou de mal préparer les préparations d’opium — le jeune apprenti se lance le défi d’analyser cette plante afin d’en isoler l’ingrédient actif qui semble avoir des effets thérapeutiques.

Travaillant d’arrache-pied, souvent tard dans la nuit, il réussit en 1805 à comprendre la nature d’une composante cristallisée de l’opium, qu’il nomme « alcali végétal ». Remarquant l’effet de somnolence de cette composante, il décide de lui donner le nom de morphine. Il s’agit du premier alcaloïde connu. Il sera suivi par la caféine, la strychnine, la nicotine, etc. Au cours de cette même année, il fait part de sa découverte à un journal de pharmacie de l’époque, qui l’ignore complètement. Ne possédant aucun diplôme ni formation sérieuse, Sertürner ne jouissait en effet d’aucune crédibilité dans le milieu de la pharmacie, d’autant plus que ses méthodes de recherche étaient fort contestées, ne respectant pas les protocoles établis — on raconte que Sertürner, un original passionné, effectuait ses essais sur lui-même ou sur ses amis.

De l’alchimie à la chimie

Quelque peu frustré de la réaction du milieu de la pharmacie, il interrompt puis reprend plusieurs années plus tard ses recherches. Motivé par une vive douleur aux dents, il ingère de la morphine, s’endort et se réveille peu après en se sentant beaucoup mieux. Il décide que la morphine est prête pour la consommation humaine. Il écrit un autre article, d’abord ignoré, puis qui suscite l’intérêt d’autres chercheurs. Des expériences universitaires en France commencent à confirmer ses résultats et on lui attribue, finalement, l’invention de la morphine.

Une précision

En fait, la morphine aurait été découverte en 1804 par des Français, soit Armand Séguin, Bernard Courtois et Jean-François Derosne, mais c’est Friedrich Sertürner qui a eu le mérite d’en révéler la composante active, le premier alcaloïde.

Commercialisation de la morphine

La société Sertürner & Co se met à commercialiser le médicament en 1817. À l’origine, la morphine était annoncée comme étant un traitement contre la douleur, mais également contre l’alcool et la dépendance aux drogues, jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’elle était plus addictive que l’opium lui-même.

Du « morphinisme » à la « toxicomanie »

Au cours de la Guerre de Sécession américaine (1861-1865), la morphine est pour la première fois administrée à grande échelle à des fins analgésiques. Des centaines de milliers de combattants sont alors atteints de la « maladie du soldat » (qui n’est autre chose qu’une dépendance à la morphine). On parle de « morphinisme » ou de « morphinomanie », des mots éventuellement remplacés par « toxicomanie ». Fait intéressant : c’est cherchant un traitement contre sa dépendance à la morphine que le Dr John Pemberton invente le Coca-Cola.

Puis vint l’héroïne…

En explorant une solution alternative à la morphine sans risque de dépendance, la société pharmaceutique allemande Bayer réussit à synthétiser l’héroïne de la morphine, en 1874. Prescrite contre la dépendance à la morphine pendant quelques années, on se rend rapidement compte que, une fois encore, la cure est pire que le mal. L’héroïne est définitivement interdite en 1924.

Jusqu’au début du 20e siècle, il était très facile de trouver de la morphine sans prescription aux États-Unis. Entre 250 000 et 1 000 000 Américains souffraient d’une dépendance à l’opium en 1900. L’invention de l’aiguille hypodermique en 1853 et le raffinement de la sève du pavot ont de plus largement contribué à la dépendance des vétérans de toutes les grandes guerres qui ont suivi. 

Tristement célèbre pour avoir provoqué la mort de nombreuses personnalités qui avaient développé une dépendance, la morphine demeure néanmoins un médicament de référence contre les douleurs aiguës. 

On dit que grâce à Sertürner, la pharmacologie est passée de l’alchimie à la chimie, avec la création d’une nouvelle sous-discipline, la chimie alcaloïde. Il a été le premier à isoler et à identifier un ingrédient actif extrait d’une plante médicinale.

le clin d’œil du pharmacien

Fait amusant : en 1827, un petit pharmacien de la ville de Darmstadt en Allemagne — du nom de Heinrich Emanuel Merck — décide de vendre de la morphine… La société Merck est aujourd’hui l’une des plus importantes compagnies pharmaceutiques au monde, elle aurait donc connu en partie son succès grâce à la découverte de Friedrich Sertürner — qui a également inspiré de nombreux autres chercheurs. 

Fait plutôt alarmant : un excellent article dans le quotidien Le Devoir rapportait récemment que le Canada est le pays au monde où l’on prescrit le plus d’opioïdes, un palmarès peu enviable. On mentionne 2,4 millions d’ordonnances, pour une augmentation de 29 % entre 2011 et 2015. Si les opioïdes responsables de surdoses sont surtout contrefaits et vendus sur le marché noir, une part grandissante de ces médicaments ont fait l’objet d’ordonnances avant de se retrouver sur un marché clandestin. 

Seulement au Québec, 1775 personnes sont mortes suite à une intoxication par opioïde, entre 2000 et 2012. 

Préoccupés par cette situation, l’Ordre des pharmaciens a créé avec le Collège des médecins un comité de travail mixte sur la question des opiacées en vue d’élaborer de nouvelles lignes directrices. 

lien utile

Petite histoire de la douleur et de la morphine 
Ou tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’histoire des antalgiques et de la douleur sans oser le demander!

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