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Introduction

L’aluminium, élément chimique portant le symbole Al et le numéro atomique 13, est le métal le plus abondant de la croûte terrestre. Troisième élément le plus présent sur notre planète après l’oxygène et le silicium, il est pourtant invisible à l’état pur dans la nature, car il se trouve toujours combiné à d’autres éléments, principalement dans la bauxite. Léger et malléable, il présente une densité environ trois fois inférieure à celle de l’acier.

Cette série présente les éléments du Tableau périodique des éléments chimiques. Ce répertoire, conçu vers 1869 par Dmitri Ivanovich Mendeleïev, rassemble tous les éléments chimiques, qui composent l’univers, tel que nous le connaissons aujourd’hui. L’ingéniosité de ce Tableau tient dans la méthode de répartition des éléments, selon leur numéro atomique, mais aussi selon leurs caractéristiques physiques et chimiques. Ce classement astucieux permet alors d’identifier des éléments existants qui restaient à découvrir, ou même de prédire les propriétés d’éléments chimiques inconnus à l’époque. Sa dernière mise à jour date de 2016, et compte 118 éléments.

Deuxième métal le plus utilisé au monde après l’acier, l’aluminium possède des propriétés physiques exceptionnelles : excellent conducteur électrique — 60 % de la performance du cuivre pour un poids trois fois moindre —, il réfléchit 95 % de la lumière infrarouge et résiste naturellement à la corrosion pendant des siècles, là où le fer rouille en quelques années. Ces caractéristiques en font le matériau de choix pour les applications les plus exigeantes.

Sans aluminium, l’aviation commerciale moderne n’existerait pas. Ce métal compose 70 à 80 % du poids d’un avion de ligne, permettant à ces géants des airs de décoller tout en transportant des centaines de passagers. Dans l’espace, fusées et satellites lui doivent leur légèreté cruciale, et la Station spatiale internationale contient des tonnes de ce métal stratégique.

Pourtant, cette abondance technologique contraste avec sa rareté géologique : il prend des millions d’années à se former dans les gisements de bauxite, qui se trouvent principalement en Australie, en Guinée et au Brésil, avant d’être transformé dans des régions riches en énergie hydroélectrique, comme le Québec.

L’aluminium au passé

— L’aluminium plus précieux que l’or au XIXᵉ siècle

En 1855, l’Exposition universelle de Paris présente au public émerveillé de petits lingots couleur argent, exposés comme des joyaux dans des écrins de velours. Les visiteurs se pressent pour admirer ce métal mystérieux, d’un éclat particulier, qui vaut alors quatre fois plus cher que l’or. C’est de l’aluminium.

Cette valeur — surprenante aujourd’hui — ne résulte pas d’un engouement passager, mais d’une contrainte technique majeure. L’aluminium se trouvant toujours combiné à d’autres éléments, principalement dans la bauxite, il résiste aux tentatives d’extraction des métallurgistes de l’époque.

C’est Henri Sainte-Claire Deville qui, en 1854, parvient le premier à en produire en quantités appréciables. Utilisant le sodium métallique pour réduire le chlorure d’aluminium, le chimiste français réussit à obtenir quelques kilogrammes du précieux métal. Sa méthode ingénieuse demeure coûteuse et complexe, nécessitant des températures élevées et des matières premières onéreuses. Cette production artisanale explique son prix exorbitant : 1 200 francs le kilogramme — contre 300 francs pour l’or.

Napoléon III voit dans l’aluminium un potentiel stratégique, notamment pour des applications militaires, et il devient le mécène de Deville. Il souhaite que les armes, les casques, les armures et autres équipements de l’armée française puissent être fabriqués dans ce nouveau métal léger et brillant.

Parallèlement, le souverain érige l’élément en symbole de prestige à la cour impériale. Lors des banquets officiels, l’empereur fait servir ses invités d’honneur dans de la vaisselle en aluminium, réservant les couverts d’or et d’argent — désormais considérés comme ordinaires — aux convives de moindre importance. Cette hiérarchie inversée témoigne de la fascination qu’exerce ce « métal du futur » sur l’élite parisienne.

Les bijoutiers de la capitale rivalisent de créativité pour offrir des parures en aluminium destinées aux dames de la haute société, et les membres éminents de l’Académie des sciences reçoivent des médailles en aluminium. Et pourtant, en à peine quelques décennies, l’aluminium devient, grâce aux innovations industrielles, l’un des matériaux les plus courants de notre quotidien.

 

Washington Monument, avec sa pointe en aluminium

Le Washington Monument a une pointe en aluminium. Sources images: Unsplash, Blogue ‘Art Now and Then’, Pinterest

 

— La production de l’aluminium : une découverte simultanée de chaque côté de l’océan

Dans l’histoire de la chimie, l’année 1886 rappelle l’une des coïncidences les plus marquantes de la science. À des milliers de kilomètres l’un de l’autre, deux jeunes hommes du même âge découvrent simultanément le procédé qui va tout changer dans la production de l’aluminium.
 
Charles Martin Hall, étudiant américain fraîchement diplômé d’Oberlin College dans l’Ohio, travaille dans un laboratoire de fortune installé dans le hangar familial. De l’autre côté de l’Atlantique, Paul Louis Toussaint Héroult, ingénieur français tout juste sorti de l’École des mines de Paris, mène ses expérimentations dans un atelier parisien. Aucun des deux ne connaît l’existence de l’autre.
 
Tous deux s’attaquent au même défi: extraire l’aluminium de l’alumine par un procédé plus facile ou accessible. Les méthodes de l’époque — comme celle de Sainte-Claire Deville —  sont ruineuses. Hall et Héroult explorent une voie différente : l’électrolyse. Mais l’alumine pure fond à 2045°C, une température impossible à maintenir à des volumes industriels.
 
La solution surgit simultanément dans leur esprit : dissoudre l’alumine dans la cryolite fondue (un minéral rare du Groenland), qui abaisse le point de fusion à 950°C. Le 23 février 1886, Hall produit ses premiers globules d’aluminium dans son hangar de l’Ohio. Quelques mois plus tard, Héroult obtient les mêmes résultats dans son laboratoire parisien. Cette synchronicité illustre comment certaines découvertes semblent « mûres » à un moment donné de l’histoire scientifique.
 
Le procédé Hall-Héroult — qui porte désormais leurs deux noms — va réinventer l’industrie. En quelques décennies, le prix de l’aluminium s’effondre, passant du statut de métal précieux à celui de matériau du quotidien.
 
 

Schéma du Procédé-Hall-Héroult

Schéma de la production d’aluminium par le procédé Hall-Héroult. Source : Wikipedia

 

L’aluminium au présent

— L’aluminium, un vrai papier à deux faces ?

Le papier d’aluminium a une face brillante et une face mate, et cette différence alimente depuis des décennies un débat dans les cuisines du monde entier : quelle face utiliser ? Celle qui brille vers l’extérieur pour mieux réfléchir la chaleur, ou l’inverse pour mieux l’absorber ? La réponse surprend : cela ne fait absolument aucune différence.
 
Cette distinction visuelle résulte du processus de fabrication. Lors de la dernière étape de laminage, deux feuilles d’aluminium sont pressées ensemble entre des rouleaux d’acier poli. Le côté en contact avec les rouleaux devient brillant, tandis que celui qui touche l’autre feuille reste mat. C’est tout — juste de la mécanique industrielle.
 
Bien que le côté brillant réfléchisse effectivement un peu plus de radiation thermique que le côté mat, cet écart est si infime qu’il n’a aucun impact mesurable sur la cuisson. La conductivité thermique de l’aluminium — sa capacité à transférer la chaleur — constitue une propriété intrinsèque du matériau, pas de sa surface. Les deux faces conduisent donc la chaleur de manière identique.
 
Ce mythe s’explique par notre intuition : nous associons les surfaces brillantes à une meilleure réflexion. Pourtant, certains fabricants confirment depuis des années qu’il s’agit d’une croyance sans fondement scientifique.
 
Il existe toutefois une exception: le papier d’aluminium antiadhésif. Dans ce cas précis, le revêtement n’est appliqué que sur la face mate, clairement identifiée sur l’emballage. Pour tous les autres usages, vous pouvez choisir la face qui vous plaît le plus esthétiquement.

 

— L’aluminium n’est pas autonettoyant, mais il « s’auto-répare »

L’aluminium possède une propriété étonnante : il se « répare » automatiquement. À sa surface, une couche d’oxyde invisible à l’œil nu protège le métal de la corrosion. Contrairement au fer qui rouille ou au cuivre qui verdit, l’aluminium ne change pas d’aspect. Lorsque sa couche protectrice est endommagée, l’aluminium alors exposé réagit immédiatement avec l’oxygène de l’air pour former une nouvelle couche d’oxyde, scellant ainsi la brèche.
 
L’industrie alimentaire a perfectionné cette protection naturelle. L’aluminium dit « grade alimentaire » subit un traitement d’anodisation qui épaissit et durcit cette couche d’oxyde, créant une surface encore plus lisse et non réactive. Ce processus offre une combinaison de durabilité, de résistance et de facilité d’entretien, tout en évitant le transfert d’aluminium dans les aliments (surtout dans le cas des aliments acides).
 
Son aspect impeccable nous donne l’impression que l’aluminium reste plus propre que les autres matériaux de cuisine. Nos surfaces et nos ustensiles étincelants semblent faciles à nettoyer d’un simple coup d’éponge. Cette apparence trompeuse nous fait croire que l’aluminium possède des qualités antiseptiques.
 
C’est pourtant faux. Malgré son éclat immaculé, l’aluminium — même anodisé — n’a aucune propriété antibactérienne. Les micro-organismes s’installent confortablement sur sa surface lisse, invisibles mais bien présents. Cette illusion de propreté vient simplement du fait que sa surface non poreuse n’absorbe pas les résidus alimentaires et reflète la lumière de manière uniforme.
 
Il est toutefois possible d’incorporer des agents antibactériens, comme l’argent, dans la couche anodisée, pour que l’aluminium acquiert de véritables propriétés antimicrobiennes, avec des taux d’efficacité dépassant 95 %. Mais dans nos cuisines domestiques, cette belle surface nécessite le même nettoyage que n’importe quel autre matériau.

Dans la pharmacie

L’aluminium s’invite discrètement dans nos armoires à pharmacie, mais bien plus souvent que la plupart d’entre nous ne l’imaginent. Sa forme la mieux connue : les antiacides, ces comprimés blancs que l’on croque contre les brûlures d’estomac. L’hydroxyde d’aluminium neutralise l’acidité gastrique en convertissant l’excès d’acide en eau et en sels d’aluminium, soulageant rapidement l’inconfort digestif.
 
L’aluminium se trouve également dans certains antiseptiques en poudre, des pansements antimicrobiens spécialisés, ou dans l’emballage de nombreux médicaments sous forme de coques — ces feuilles d’aluminium ultrafines protègent les comprimés de l’humidité, de la lumière et de l’oxygène, préservant leur efficacité jusqu’à la date d’expiration.
 
Cependant, c’est dans les vaccins que l’aluminium joue son rôle le plus méconnu et le plus crucial. Depuis les années 1920, les sels d’aluminium — principalement l’hydroxyde et le phosphate d’aluminium — servent d’adjuvants vaccinaux. Ces composés stimulent et prolongent la réponse immunitaire, permettant aux vaccins d’être plus efficaces avec de plus petites quantités d’antigènes.
 
Cette utilisation centenaire fait de l’aluminium l’unique adjuvant homologué durant plus de soixante-dix ans, présent dans des milliards de doses administrées mondialement. Les quantités sont infimes — entre 0,125 et 0,85 milligramme par dose — soit moins que ce que nous ingérons quotidiennement par l’alimentation.
 
Paradoxalement, ce métal qui accompagne notre santé depuis plus d’un siècle suscite parfois des inquiétudes. Les autorités sanitaires maintiennent une surveillance constante et confirment régulièrement la sécurité de ces usages, rappelant que les doses pharmaceutiques sont largement inférieures aux seuils de toxicité établis.
 
Dans le doute, n’hésitez pas à consulter votre pharmacien ou pharmacienne.

L’avenir de l’aluminium

— L’aluminium, champion du recyclage

En ce qui concerne le recyclage, l’aluminium brille encore : transformer une canette usagée en nouvelle canette ne nécessite que 5 % de l’énergie requise pour extraire l’aluminium de la bauxite. Cette efficacité énergétique fait de l’aluminium le champion toutes catégories du recyclage métallique.
 
Pour comprendre ce phénomène, il faut s’attarder à la production primaire. Extraire l’aluminium de son minerai exige de grandes quantités d’électricité — si importantes que les alumineries s’installent souvent près de centrales hydroélectriques pour faciliter leur approvisionnement. Ce processus d’électrolyse, dans son principe, demeure inchangé depuis 1886.
 
Le recyclage court-circuite cette étape. Fondre de l’aluminium déjà purifié demande de le chauffer à 660°C, soit une fraction de l’énergie nécessaire à l’électrolyse. Ainsi, une seule canette recyclée économise l’électricité requise pour alimenter un téléviseur durant trois heures, ou faire fonctionner un ordinateur portable pendant une journée.
 
Contrairement au plastique, qui se dégrade à chaque recyclage, l’aluminium conserve toutes ses propriétés, cycle après cycle, à l’infini. Une canette usée peut renaître en canette neuve en seulement soixante jours, du bac de recyclage aux rayons du supermarché.
Économiquement, recycler coûte moins cher que produire. Écologiquement, cette différence représente l’équivalent de millions de tonnes de CO₂ évitées chaque année. Avec l’aluminium, notre geste de tri quotidien est véritablement un acte environnemental.

 

— Vers un « aluminium vert » sans carbone

Malgré l’efficacité du recyclage de l’aluminium, il ne suffit pas à répondre à la demande mondiale croissante. Une grande partie du métal reste immobilisée dans des infrastructures ou des produits à longue durée de vie et, de plus, les taux de collecte et de récupération ne sont pas optimaux. Ainsi, la production primaire demeure indispensable.
 
La technologie ELYSIS, fruit d’une collaboration entre Rio Tinto et Alcoa et testée avec succès dans une usine pilote au Québec, promet de révolutionner la production de l’aluminium en éliminant ses émissions de CO₂.
 
Cette avancée réside dans une innovation apparemment simple : remplacer les anodes en carbone par des anodes inertes. Dans le procédé traditionnel d’électrolyse, ces anodes en carbone se consument progressivement, libérant du dioxyde de carbone à chaque production d’aluminium. Ce processus représente la principale source d’émissions de l’industrie — environ deux tonnes de CO₂ par tonne d’aluminium produite.
 
Les anodes inertes changent la donne. Fabriquées à partir d’un alliage métallique spécialement conçu, elles ne se dégradent pas et ne génèrent aucune émission carbone. Mieux encore, au lieu de rejeter du CO₂, le processus produit de l’oxygène pur, transformant les alumineries des « poumons » industriels.
 
Appliquée à grande échelle au Canada seulement, ELYSIS permettrait d’éviter l’émission de 7 millions de tonnes de gaz à effet de serre par an — l’équivalent de retirer 1,8 million de voitures de la circulation. L’adoption globale des anodes inertes pourrait faire de l’aluminium un matériau beaucoup plus vert.
 
 
Douglas DC-3 en vol

Douglas DC-3 en vol, photographié en 1989. Source image: Wikipedia

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