Image : DALL.E et Photoshop

Introduction

L’hélium, élément chimique numéro 2 du tableau périodique, porte le symbole He. Ce gaz noble, incolore, inodore et insipide, est le deuxième élément le plus abondant de l’univers — la matière de l’univers est composée à 74 % d’hydrogène et 23 % d’hélium. Le soleil produit environ 630 millions de tonnes d’hélium par seconde. Pourtant, sur Terre, il se fait rare — l’atmosphère en contient seulement 0,000 524 %.

Cette série présente les éléments du Tableau périodique des éléments chimiques. Ce répertoire, conçu vers 1869 par Dmitri Ivanovich Mendeleïev, rassemble tous les éléments chimiques, qui composent l’univers, tel que nous le connaissons aujourd’hui. L’ingéniosité de ce Tableau tient dans la méthode de répartition des éléments, selon leur numéro atomique, mais aussi selon leurs caractéristiques physiques et chimiques. Ce classement astucieux permet alors d’identifier des éléments existants qui restaient à découvrir, ou même de prédire les propriétés d’éléments chimiques inconnus à l’époque. Sa dernière mise à jour date de 2016, et compte 118 éléments.

Plus léger que l’air, l’hélium peut faire flotter ballons et dirigeables, ou aider les plongeurs sous-marins à descendre loin sous l’eau. Pratiquement inerte, ininflammable, il devient liquide à -268,9 Celsius — 4 degrés au-dessus du zéro absolu, et il ne peut être solidifié.

Grâce à ses propriétés exceptionnelles, l’hélium se rend indispensable dans de nombreux domaines, de la médecine à l’aérospatiale, en passant par le calcul quantique et… les fêtes d’anniversaire !

L’hélium au passé

— L’hélium du plus grand au plus petit

L’hélium est le seul élément à être découvert dans le ciel avant de se faire repérer sur Terre. Le 18 août 1868, l’astronome français Jules Janssen séjourne à Guntur en Inde afin d’observer l’éclipse totale, à l’aide de la spectroscopie astronomique — une technique qui analyse la lumière émise par les étoiles pour déterminer leur composition chimique. Il étudie le spectre d’émission de la couronne solaire et il constate une raie jaune qui ne correspond à aucun élément connu. En octobre de la même année, l’astronome britannique Norman Lockyer confirme cette observation et propose, avec le chimiste Edward Frankland, de nommer ce nouvel élément « hélium », d’après Hélios, le dieu grec du Soleil.

Ce n’est qu’en 1882 que Luigi Palmieri, volcanologue et météorologue italien, détecte de l’hélium sur Terre, en analysant les longueurs d’onde de la lave du Vésuve. Puis, le 26 mars 1895, le chimiste écossais Sir William Ramsay isole pour la première fois l’élément, un peu par accident, en cherchant de l’argon dans la clévéite, un composé d’uranium. La décomposition naturelle du minerai entraîne une radioactivité. Ce rayonnement génère des particules 𝛼, qui sont des atomes d’hélium -4. Le gaz ainsi formé s’accumule et reste enfermé dans le minéral. Après quelques manipulations de cette roche, le chimiste aperçoit au spectromètre la même raie jaune remarquée sur le Soleil près de 30 ans plus tôt.

William Ramsay recevra le prix Nobel de chimie en 1904 pour ses découvertes des gaz nobles (ou rares), et la définition de ce nouveau groupe dans le tableau périodique.


— L’hélium au cœur du modèle de l’atome

Démocrite, philosophe grec du 5e siècle avant notre ère, est célèbre pour sa théorie atomiste — ou matérialiste — de l’Univers. Selon lui, la nature est composée de vide et d’unités indivisibles et indestructibles appelées « atomes ». Ces atomes, éternels et infiniment petits, diffèrent en forme, taille et poids, et se déplacent dans le vide. Les variations et combinaisons de ces atomes expliqueraient la diversité de la matière dans le monde.

Bien que ses idées fussent rejetées par les théologiens et certains de ses successeurs comme Aristote, la théorie de Démocrite a jeté les bases de la chimie moderne. Ses concepts furent redécouverts puis développés bien plus tard, à partir du 17e siècle, confirmant son intuition sur la nature fondamentale de la matière​.

En 1909, Hans Geiger et Ernest Marsden mènent la célèbre expérience de la feuille d’or, sous la direction du chimiste et physicien Ernest Rutherford. Cet éminent Néo-Zélandais a d’ailleurs œuvré à Montréal de 1898 à 1907 dans le cadre de ses recherches sur les propriétés des rayonnements radioactifs, pour lesquelles il reçoit le prix Nobel de chimie en 1908. Dans la poursuite de ces travaux, il décide de bombarder une fine feuille d’or avec des particules alpha — des noyaux d’hélium dépourvus d’électrons, ou de charge négative.

Les résultats de cette expérience s’avèrent surprenants à cause de — ou grâce à — la manière dont ces particules alpha sont déviées en traversant la matière ; elles rebondissent. Cette constatation mène Rutherford à conclure que la part de la matière chargée positivement (qui fait rebondir les particules) est concentrée en un seul espace, petit et central. Ce modèle du noyau formé de particules positives (ou protons) vient remplacer celui du « plum pudding » de J.J. Thomson — où la charge positive serait partout, incrustée d’électrons. Ce centre défini par Rutherford, concentré en protons et entouré d’électrons, constitue une percée majeure dans notre compréhension de la matière, et cette nouvelle forme de l’atome pose les bases de la physique nucléaire moderne.

L’hélium au présent

— L’hélium et la supraconductivité

Encore aujourd’hui, l’hélium joue un rôle appréciable dans notre quête d’élucider les secrets de l’Univers. Dans les collisionneurs de particules, tel le Grand collisionneur de hadrons (LHC) du CERN, il sert à refroidir les aimants supraconducteurs à des températures proches du zéro absolu. À -271,3 °C, l’hélium liquide permet aux aimants de fonctionner sans résistance électrique, créant ainsi des champs magnétiques hyper puissants.

Ces champs magnétiques de grande intensité sont essentiels pour accélérer et guider les particules subatomiques à des vitesses proches de celle de la lumière. Lorsque ces particules entrent en collision, l’énergie qui en résulte se transforme parfois en matière. Ces phénomènes peuvent recréer brièvement des conditions qui existaient juste après le Big Bang. Ils aident les scientifiques à mieux comprendre les débuts de notre monde, et à déchiffrer les mystères de la matière. Chaque découverte réalisée dans ces collisionneurs, comme des particules quarks, ou la confirmation du boson de Higgs, repose sur les caractéristiques bien spécifiques de l’hélium.

— Gonflés à l’hélium

Le premier dirigeable à hélium, le USS Shenandoah, voit le jour le 10 octobre 1923. Il promet de révolutionner le monde de l’aéronautique en offrant une alternative plus sûre à l’hydrogène, très inflammable. Toutefois, cet engouement reste bref. Malgré leur sécurité accrue, ces géants sont vulnérables aux intempéries, comme en témoigne l’écrasement du USS Akron en 1933, qui fait 73 morts. Ironiquement, ce sera la catastrophe du Zeppelin à hydrogène Hindenburg, en 1937, qui signera la fin des grands aérostats. Cette aventure plutôt brève ouvre la voie à d’autres applications toujours en cours, tels les ballons-sondes, stratosphériques, météorologiques, ou de surveillance. Plus récemment, l’hélium connait un retour dans les aéronefs, par exemple dans l’industrie du tourisme spatial (stratosphère), ou le transport de marchandises (jusqu’à 60 tonnes), en remplacement de camions.

En dépit d’une croyance plus ou moins répandue, la montgolfière ne fonctionne pas à l’hélium, mais à l’air chaud. D’abord, lors de son premier vol en 1783 en France, l’hélium n’est pas encore connu ! Les frères inventeurs Joseph-Michel et Jacques-Étienne Montgolfier pensent au départ que c’est la fumée qui fait monter le ballon. En réalité, c’est l’air chauffé qui rend le ballon plus léger que l’air ambiant. L’association entre l’hélium et la montgolfière résulte sans doute d’une confusion avec les ballons publicitaires, ou de fêtes.

Un usage récréatif notoire de l’hélium consiste en son inhalation, dans le but de produire une voix plus aiguë, et comique. La faible densité de l’hélium fait voyager les ondes sonores plus rapidement à travers les cordes vocales, ce qui élève la fréquence du son émis par la voix. Cette pratique demeure ludique et inoffensive dans la modération — contrairement à l’inhalation d’azote (oxyde nitreux).

Dans l’imaginaire collectif, l’hélium fait partie intégrante des célébrations. Les fameux ballons, de toutes formes et couleurs, sont synonymes de joie et de réjouissance. Pourtant, des États comme la Floride ont commencé à les interdire, pour éviter qu’ils polluent plages et cours d’eau, faune et océans. Chose certaine, ils emportent avec eux pour toujours le précieux gaz noble, non renouvelable.

Boson de Higgs

Boson de Higgs

USS Shenandoah

USS Shenandoah, NAS San Diego, 1924

Pas très loin de la pharmacie

La retombée la plus tangible de l’hélium en ce qui concerne le grand public se trouve dans le domaine médical. Les appareils d’imagerie par résonance magnétique (IRM) utilisent des milliers de litres d’hélium liquide pour refroidir leurs aimants supraconducteurs. C’est ainsi que sont générés les puissants champs magnétiques nécessaires à l’obtention des images détaillées de l’intérieur du corps humain.

En proposant une méthode de diagnostic non invasive et sans radiation, cette technologie permet une détection précoce de diverses maladies, notamment les tumeurs cérébrales, les lésions de la moelle épinière et les problèmes cardiaques. La précision des IRM améliore également la planification chirurgicale et le suivi des soins, rendant possible une médecine plus personnalisée et efficace. Leur utilisation dans le dépistage de certaines maladies, comme le cancer du sein, renforce les stratégies de prévention en santé publique.

Les IRM fonctionnelles ont ouvert de nouvelles perspectives sur le fonctionnement du cerveau, et contribué à des avancées significatives pour le traitement des maladies neurologiques et psychiatriques.

Dates à retenir :

1973 : Paul Lauterbur publie la première image IRM 2D.

1977 : Peter Mansfield développe la technique d’imagerie à écho-planar, technique d’IRM ultrarapide capturant une coupe entière en une seule impulsion, pour une imagerie en temps réel.

1980 : la première IRM d’un corps humain est réalisée par le Dr John Mallard et son équipe à l’Université d’Aberdeen en Écosse.

1980 : selon ses propres recherches et travaux, Dr Raymond Damadian produit le premier scanner commercial chez Fonar, sa société basée à Melville, New York.

2003 : Paul Lauterbur et Peter Mansfield reçoivent le prix Nobel de physiologie ou médecine pour leurs découvertes concernant l’IRM.

2017 : Introduction de l’IRM 7 Tesla à usage clinique, offrant une résolution et une qualité d’image sans précédent. Au Canada, le premier de ces appareils pour le corps entier est installé à l’Institut-Hôpital neurologique de Montréal en 2019.

2024 : Une puissance inédite est atteinte dans l’imagerie par résonance magnétique avec Iseult en France à 11,7 tesla.

L’avenir de l’hélium

— L’hélium non renouvelable

On l’a vu plus haut, malgré son abondance dans l’univers, l’hélium devient une ressource plus rare sur Terre. L’hélium terrestre se forme durant des millions d’années par la désintégration d’éléments radioactifs dans la roche. Cette formation lente produit environ 3000 tonnes annuellement. Les réserves naturelles accumulées, « emprisonnées » sous des couches rocheuses, se situent dans des gisements de gaz naturel.

Les réserves mondiales en 2020 étaient évaluées à environ 42,5 milliards de mètres cubes — quantité qui n’est probablement pas entièrement exploitable. La même année, la production mondiale tournait autour de 150 millions de mètres cubes. Les principaux producteurs sont les États-Unis et le Qatar. L’Ouest canadien explore depuis quelque temps les possibilités d’une exploitation profitable, on y parle même d’une ruée vers l’hélium.

Notre consommation annuelle était évaluée en 2019 à 175,56 millions de mètres cubes. Près du quart de l’usage mondial de l’hélium va aux technologies de cryogénie (refroidissement à très basse température), notamment dans les IRM. Les différents types dits de levage, ce qui inclut les ballons de fête, représentent 15 % de l’hélium consommé par l’humain. Les appareils électroniques et la fibre optique s’approprient un autre 25 % de la ressource.

Une fois libéré dans l’atmosphère, l’hélium s’envole vers l’espace à jamais. Pour le préserver, il faut donc éviter qu’il ne s’échappe. L’une des stratégies déployées afin de freiner la fuite de l’hélium exige l’amélioration des technologies de récupération. Par exemple, des systèmes plus efficaces sont créés dans les appareils IRM, et des méthodologies sont mises en place par les laboratoires de recherche, tel l’Institut quantique de l’université de Sherbrooke, pour réduire le gaspillage. Par ailleurs, les efforts s’intensifient pour dénicher des substituts à l’hélium dans le domaine de la supraconductivité, non sans difficulté.

Uraninite

Uraninite, principal minerai d’uranium.

 

— L’hélium -3 : la Terre appelle la Lune

Un isotope rare, l’hélium -3, suscite un intérêt croissant notamment en regard de son potentiel dans la fusion nucléaire. Comparativement à l’hélium -4, il présenterait plusieurs avantages, pour une meilleure conversion en électricité. Il produit moins de neutrons, donc moins de déchets, et ses réacteurs pourraient être plus compacts. Ces atouts laissent espérer une plus grande efficacité énergétique, une sécurité accrue et un impact environnemental moindre.

L’hélium -3 se trouve difficilement sur Terre, mais la Lune, bombardée par le vent solaire depuis des milliards d’années, en contient des quantités appréciables. Quelques entreprises privées et la Nasa prévoient l’exploitation minière sur notre satellite naturel d’ici 2030 – 2032, pour y extraire de l’hélium -3, entre autres. Bien que cette perspective semble relever de la science-fiction, certains l’envisagent comme une alternative durable aux combustibles fossiles. Mais à qui appartient la Lune ? Les questionnements et défis liés à l’exploitation des ressources spatiales demeurent considérables, au moment où les astronomes sonnent l’alarme concernant l’accumulation des déchets orbitaux. En vue du « boom lunaire », tous ne s’entendent pas, que ce soit pour des raisons de droit, d’équité, de sécurité, d’environnement, ou d’éthique.

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En conclusion

La situation climatique nous incite, depuis quelques années, à repenser nos habitudes de consommation et nos priorités. Si à un moment pas si lointain de notre histoire, nous pensions que la Terre était notre jardin aux richesses inépuisables, nous comprenons maintenant que  la surconsommation brise les équilibres, quand elle ne mène pas à l’épuisement des ressources. On pourrait alors se demander si la solution passe par un bon ménage de la maison, plutôt que de laisser tout en plan pour aller vers une autre maison, dans l’espoir puéril que la réalité occultée disparaisse.

Quels que soient les choix de l’humanité, l’hélium nous fait voyager de l’infiniment grand à l’infiniment petit, en des allers-retours aux confins des mystères de la vie.

Images : Wikipedia

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