Colchani Potosí, Bolivie — Unsplash

Introduction

Le lithium est un élément chimique qui appartient au groupe des métaux alcalins. Assez mou pour se couper au couteau, il est aussi assez léger pour flotter sur l’eau. Mais étant hautement réactif, il pourrait s’enflammer à son contact. Dans la nature, on ne le trouve pas dans son état métallique ; il est extrait de minéraux ou de saumures. Il porte le numéro 3 dans le Tableau périodique, et le symbole Li.

Cette série présente les éléments du Tableau périodique des éléments chimiques. Ce répertoire, conçu vers 1869 par Dmitri Ivanovich Mendeleïev, rassemble tous les éléments chimiques, qui composent l’univers, tel que nous le connaissons aujourd’hui. L’ingéniosité de ce Tableau tient dans la méthode de répartition des éléments, selon leur numéro atomique, mais aussi selon leurs caractéristiques physiques et chimiques. Ce classement astucieux permet alors d’identifier des éléments existants qui restaient à découvrir, ou même de prédire les propriétés d’éléments chimiques inconnus à l’époque. Sa dernière mise à jour date de 2016, et compte 118 éléments.

Le chimiste suédois Johan August Arfwedson découvre le lithium en 1817 de manière accidentelle, durant des analyses géologiques de la pétalite, l’un de ses principaux minerais.

Le mot « lithium » vient du mot grec « lithos », qui signifie « pierre ». À ce moment de l’Histoire, les autres éléments du groupe des alcalins, le sodium et le potassium, sont découverts dans des plantes. Comme le lithium est trouvé dans un minéral solide, on lui choisit ce nom.

Ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que le lithium connaîtra des usages courants, notamment dans la fabrication de batteries et en médecine. Ses principaux producteurs sont l’Australie, le Chili, l’Argentine et la Chine.

Le lithium au passé

— Du lithium pour la gueule de bois

Dans les années 1920 et 1930, du citrate de lithium est ajouté à certaines boissons gazeuses, dont le célèbre 7 Up. Lancée deux semaines avant le krach boursier de 1929, cette « liqueur » est commercialisée en tant que remède, pour adoucir les lendemains de veille, entre autres, sous le nom Bib-Label Lithiated Lemon-Lime Soda.

Le citrate de lithium est un sel, composé de lithium et d’acide citrique. On lui conférait alors des vertus revigorantes ou euphorisantes, et il était présent dans plus d’une « patent medicine » — ces remèdes protégés par une marque de commerce, vendus sans prescription en pharmacie.

La consommation de grandes quantités de boisson gazeuse, couplée à la prise d’autres produits contenant différentes formes de sels de lithium, pouvait causer des intoxications au métal. Par exemple, des substituts au sel de table composés de chlorure de lithium auraient provoqué empoisonnements et décès, menant la FDA (U.S. Food and Drug Administration) à bannir ces sels de remplacement. Dans ce contexte, le lithium perd en popularité et le fabricant du 7 Up choisit de retirer le citrate de lithium de sa formule dès 1948.

— Le lithium et les troubles de l’humeur

L’usage d’eaux alcalines (ou lithiées) dans le traitement des troubles de l’humeur remonterait à l’Antiquité, d’après les écrits de Soranos d’Éphèse, médecin gréco-romain (IIe siècle av. J.-C).

L’histoire du lithium en tant que traitement de différents troubles de santé mentale s’étend sur plus d’un siècle et sur plusieurs continents. Au milieu du XIXe siècle, une préparation appelée « Lithinés du Dr Gustin » était populaire dans le sud de la France. Il s’agissait de granules effervescents à ajouter à l’eau, pour créer une eau minérale de table. D’ailleurs, à ce sujet, lors du Congrès de l’Encéphale de 1973, le médecin français Roger Reyss-Brion en aurait parlé en ces termes : « c’est pour cette simple raison qu’il n’y a pas beaucoup de maniaco-dépressifs (ancien nom des troubles bipolaires) à Marseille ».

Lithinées Dr Gustin

L’utilisation du lithium pour le traitement des troubles bipolaires nous vient du psychiatre australien John Cade, qui cherchait à identifier les causes biologiques de la manie. En 1949, un peu par hasard, il constate que le lithium a un effet calmant.

Aux États-Unis, les sels de lithium sont alors bien mal perçus (voir plus haut), mais ailleurs dans le monde, ces résultats inspirent différents essais cliniques. Cependant, la très fine ligne entre la dose efficace et la dose toxique rend difficile l’administration du traitement. Quelques années de recherches seront encore nécessaires pour trouver les bons dosages de référence. La spectrométrie d’absorption atomique, qui mesure les métaux dans le sang, permet de raffiner la médication, avec un dosage sur mesure selon le patient. En 1970, les États-Unis deviennent le 50e pays à adopter le lithium en tant que traitement des troubles bipolaires.

Le lithium au présent

— Nager dans le lithium

De nos jours, il est encore possible de se baigner dans le lithium ! Aux États-Unis, comme en Oregon ou en Arizona, les bienfaits de ces eaux thermales naturelles seraient connus des Premières Nations depuis des milliers d’années.

Ces « eaux lithinées » sont censées avoir des propriétés thérapeutiques pour soulager le stress, améliorer l’humeur ou augmenter le sentiment de bonheur et de joie. En Auvergne, dans le centre de la France, les eaux thermales contiennent une bonne part de lithium et sont réputées pour favoriser la détente profonde, réduire la douleur et l’inflammation, et aider à la cicatrisation.

— L’énergie au lithium

En 1991, Sony fut la première compagnie à commercialiser une batterie lithium-ion rechargeable destinée au grand public, pour son caméscope Handycam CCD-TR1. Aujourd’hui, ces batteries se retrouvent dans presque tous nos appareils électroniques, téléphones intelligents et ordinateurs portables. De plus, la grande majorité des véhicules électriques ou hybrides fonctionnent avec ces piles ultra-performantes.

Les batteries au lithium-ion ont une densité d’énergie élevée, ce qui signifie qu’elles peuvent stocker une grande quantité d’énergie dans un petit volume — ce qui les rend particulièrement adaptées tant aux appareils portables qu’aux véhicules électriques. Leur autodécharge est faible ; elles conservent leur charge durant une période plus longue que les autres types de batteries, et elles ne perdent pas leur capacité à maintenir une charge maximale lorsqu’elles sont rechargées partiellement à plusieurs reprises.

C’est entre les années 1970 et 1985 que Stanley Whittingham, John Goodenough et Akira Yoshino ont tour à tour et ensemble créé cette fameuse batterie. Ils en ont été récompensés par le prix Nobel de Chimie en… 2019 ! Plusieurs décennies plus tard, on a voulu souligner l’importance de leurs travaux et leur impact sur la transition vers des sources d’énergies renouvelables. En effet, leur invention a jeté les bases d’une technologie qui contribue à réduire notre dépendance aux combustibles fossiles.

L’avenir du lithium

– La ruée vers l’or blanc

La demande croissante en lithium soulève des préoccupations quant à la durabilité de l’approvisionnement ; les réserves sont limitées, et la concentration de la production dans un petit nombre de pays peut susciter des tensions géopolitiques.

Le Canada a ajouté le lithium à sa liste des minéraux « critiques » (il y en a 31), pour son rôle majeur dans la transition vers l’énergie verte, et le pays souhaite en devenir producteur — et non pas qu’importateur. Deux méthodes d’extraction sont privilégiées : l’assèchement de certains lacs salés, qui n’est pas sans conséquence sur les territoires concernés et leurs occupants ; et d’importants gisements de spodumène (une variété de roche) en Abitibi et au nord du Québec, où les activités minières divisent la population.

À mesure que les besoins en batteries au lithium-ion augmentent, la nécessité de développer des techniques de recyclage efficaces se fait urgente. Les projets de recherche visent à récupérer les métaux présents dans les batteries, diminuant ainsi la demande en ressources naturelles, et minimisant l’impact environnemental associé à l’extraction — que ce soit à partir de saumures ou de roches, l’extraction a des répercussions écologiques, telles que la pollution de l’eau et des sols, la perturbation des écosystèmes locaux, et la grande consommation d’eau. Ces pratiques pourraient aussi contribuer à baisser les coûts de production des batteries, rendant les technologies à base de lithium-ion plus accessibles.

– Le lithium et la santé mentale

Une méta-analyse publiée en 2021 a conclu qu’une proportion élevée de lithium dans l’eau potable pouvait être associée à une réduction du taux de suicide et des admissions en psychiatrie. Depuis, certains pensent que l’ajout de lithium dans l’eau potable devrait être envisagé comme un moyen de prévention du suicide, au même titre que la fluorisation de l’eau pour la prévention des caries. Bien que les preuves semblent s’accumuler en faveur du lithium pour une meilleure santé mentale générale, la recherche est loin d’être terminée.

Depuis quelques années, les propriétés neuroprotectrices du lithium sont évaluées pour le traitement de différentes maladies neurodégénératives. À Montréal, des chercheurs de l’Université McGill ont démontré que des microdoses de lithium pouvaient réduire les amas de plaques de bêta-amyloïde, qui caractérisent la maladie d’Alzheimer, et même, améliorer les fonctions cognitives chez les rats.

L’administration de faibles doses de lithium pour traiter la population humaine, en particulier les personnes ayant une prédisposition génétique à la maladie d’Alzheimer, serait à considérer, selon les conclusions de cette étude publiée par le Journal of Alzheimer’s Disease.

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En tant que métal mou et flottant, le lithium fait penser aux fameuses montres de Dali. Dans sa toile La persistance de la mémoire, l’artiste aurait voulu illustrer « l’inutilité de mesurer le temps », ou le désir de se défaire de la rigidité des convenances pour habiter le pays du rêve, ou de l’éternité. Le titre de son œuvre serait en opposition à ces montres déformées.

Et si, au contraire, ces montres « molles » affichant des heures différentes étaient précisément des fragments de mémoires. Éparpillés et « flexibles » dans un décor onirique, ou « hors du temps », d’où l’on observe une étendue d’eau salée à l’horizon…

En retour, ces liens entre les limites et la durée, le rythme et le déséquilibre, ou la façon dont le temps habite l’esprit, font penser au lithium et peut-être que l’artiste l’avait pressenti : cette plage sur la toile est inspirée de Portliggat, son lieu de résidence, tout près de Cadaquès, dans une région qui abrite le lépidolite, une roche contenant notamment du silicium, de l’aluminium, du manganèse et du lithium.

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