le résumé

PHARMACOLOGUE CANADIENNE, ELLE MET FIN À LA TRAGÉDIE DU THALIDOMIDE ET CONTRIBUE AU RENFORCEMENT DE L’HOMOLOGATION DES MÉDICAMENTS

Des milliers de bébés sont nés avec de terribles malformations, au Canada, en Europe et au Moyen-Orient, au début des années soixante. Leurs mères avaient pris — sur recommandation de leur médecin — du thalidomide, un « médicament miracle » qui avait pour effet, disait-on, de faire disparaître l’insomnie et les nausées pendant la grossesse. Portant le nom de Kevadon, ce médicament est l’unique responsable de la tragédie qui a affecté ceux que l’on a appelés « les enfants de la thalidomide ». Par contre, aucun enfant n’a été atteint de cette maladie aux États-Unis, car la FDA (Food and Drug Administration) américaine avait refusé d’en autoriser la vente. Ironie du sort, la pharmacologue et médecin qui a pris cette décision, Frances Oldham Kelsey, était une Canadienne.

les détails

Frances Oldham était originaire de l’île de Vancouver, en Colombie-Britannique. Élève brillante, elle entre à l’Université de Victoria à l’âge de 15 ans, et poursuit ensuite ses études à l’Université McGill où elle obtient une maîtrise en pharmacologie, en 1935. Remarquant son vif intérêt pour la recherche, un de ses professeurs lui suggère de poser sa candidature comme doctorante à l’Université de Chicago, auprès d’un éminent chercheur, le Dr Geiling, qui démarrait un nouveau département de recherche. C’est ce qu’elle fit et le Dr Geiling l’accepta sur-le-champ, croyant qu’il avait affaire à un homme ! L’histoire ne dit pas quelle fut sa réaction initiale, mais le parcours exceptionnel de son étudiante a fait en sorte qu’il n’a certainement pas dû regretter de l’avoir accueillie.

La FDA engage le Dr Geiling comme consultant dans un dossier-choc, celui d’une centaine de morts suspectes liées à un médicament, l’élixir Sylfanilamide. La jeune Frances Oldham l’assiste dans ce projet de recherche qui démontre que le solvant intégré à ce médicament, le diéthylène glycol, est responsable de ces décès. On dit que c’est au cours de son travail auprès du Dr Geiling qu’elle développe son intérêt sur les substances tératogènes.

Après son doctorat, elle se joint à l’équipe de l’Université de Chicago, et épouse un collègue, le Dr Kelsey, portant désormais le nom de Frances Kelsey. En plus de continuer ses recherches, elle poursuit ses études en vue de l’obtention d’un doctorat en médecine. Elle occupe divers postes à Chicago, qu’elle quitte finalement au milieu des années cinquante pour aller vivre avec son mari au Dakota du Sud, où elle enseigne à l’Université.

En 1960, la FDA, qui ne compte que sept employés à temps plein et quelques docteurs à temps partiel, l’embauche. En septembre de cette même année, elle reçoit le mandat d’examiner le Kevadon, le nom de marque du thalidomide. Elle se déclare insatisfaite des informations reçues par le fabricant, jugeant que l’innocuité du produit n’était pas démontrée. Elle demande des études supplémentaires, au grand dam du fabricant qui prétend qu’elle fait du zèle.

La Dre Kelsey avait eu connaissance d’une étude britannique selon laquelle le thalidomide pouvait avoir certains effets sur le système nerveux. Mais par ailleurs, elle avait remarqué, lors de recherches antérieures sur la malaria, que certains médicaments traversaient la barrière placentaire, notamment chez les lapins. C’est certainement ce qui est à l’origine de ses doutes. Elle ne cède pas aux pressions du Laboratoire Merrell, le fabricant, malgré que celui-ci lui fasse valoir que le médicament était autorisé au Canada et en Europe. La vente du Kevadon (et par le fait même le thalidomide) n’a jamais été autorisée aux États-Unis.

En plus de sauver des milliers d’enfants de ce terrible fléau, sa courageuse obstination a marqué le début d’un renforcement de l’homologation des médicaments aux États-Unis. L’industrie pharmaceutique est de nos jours soumise à une réglementation très sévère. La décision du Dr Kelsey a donc été à l’origine d’un point tournant dans le monde pharmaceutique.

Frances Kelsey a reçu le President’s Award for Distinguished Federal Civilian Service des mains du Président John F. Kennedy, en 1962. Il s’agit de la plus haute distinction décernée à un civil aux États-Unis. Elle a pris sa retraite de la FDA en 2005, à l’âge de 90 ans, et est décédée à l’âge de 101 ans, en 2015.

Le thalidomide au Canada

Le thalidomide a commencé à être offert au Canada en comprimés échantillons en 1959, par l’entremise des médecins. Ce n’est qu’en avril 1961 que le médicament a reçu son homologation officielle. Le 2 décembre de la même année, l’Allemagne de l’Ouest (le pays d’origine du laboratoire qui le fabriquait) et le Royaume-Uni l’interdisaient. Malgré cela, ce n’est qu’en mars de l’année suivante, en 1962, que le Canada l’a interdit.

le clin d’œil du pharmacien

Le processus d’homologation des médicaments au Canada est aujourd’hui aussi sinon plus rigoureux que celui de la FDA aux États-Unis. Fort heureusement, une telle tragédie ne serait plus possible, aujourd’hui. Les laboratoires pharmaceutiques, lorsqu’ils envisagent la mise en marché d’un médicament, doivent en prouver la parfaite innocuité et en déclarer les effets indésirables. Par ailleurs, les protocoles de recherche sont eux aussi soumis à une réglementation très sévère.

liens utiles

Frances Oldham Kelsey
Biographie sur Wikipédia

Le dessous de la tragédie de la thalidomide 
Agence Science-Presse

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